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U



Contrairement à ce qu’on écrit parfois, la transformation, certes caractéristique, de l’u latin en u « français » n’est pas absolument spécifique de notre langue : on la trouve aussi en occitan et dans certains parlers romans de l’arc alpin (Footnote: Bourciez, Phonétique française, p. 94-95.). Il s’agit d’un changement très simple en apparence ([u] > [y]), mais dont l’origine, le mécanisme précis et la datation restent obscurs et font l’objet de spéculations diverses et de théories opposées entre lesquelles il est peu probable qu’on puisse un jour trancher.

L’u en français standard

L’u français ([y]) est la plus fermée des voyelles dites arrondies. Cette série de voyelles (elle est constituée de [y], [ø] et [œ]) s’articule assez en avant, mais elle se distingue des voyelles antérieures proprement dites, ou rétractées, par un arrondissement des lèvres. Tout comme i, le caractère u, en plus du son vocalique [y], sert parfois à noter une semi-voyelle : le [ɥ] de nuit, bien moins fréquent que son analogue yod.

Selon Grammont (Footnote: Grammont, La Prononciation française, p. 52.), u est long devant [r], [z], [ʒ] ou [v] final : pur, voiture, buse, ruse, déluge, étuve. Il est bref partout ailleurs. Fouché (Footnote: Fouché, Traité de prononciation, p. xxxix.) est du même avis.

L’ère des scribes

L’énigme de l’u « français »

Alors que, l’u bref du latin classique s’est, déjà à l’époque impériale, confondu avec l’o long, l’u « français » fait suite à l’u long libre ou entravé du latin classique qui était prononcé [uː]. Le changement [u] > [y] implique un glissement du point d’articulation de l’arrière vers l’avant, désigné par le terme de palatalisation. Les spécialistes s’accordent en général pour considérer que cette palatalisation s’est amorcée à date pré-littéraire, c’est-à-dire avant le ixe siècle. Leurs opinions divergent en revanche quant à la durée du changement, et quant à ses causes.

La plupart des auteurs traitent de la palatalisation de l’u comme d’un phénomène « instantané » (à l’échelle de la phonétique historique s’entend) et ils le situent peu avant les Serments de Strasbourg (Footnote: Zink, Phonétique historique, p. 129 ; Fouché, Phonétique historique, p. 229.). Matte (Footnote: Matte, Histoire des modes phonétiques, p.102.), au contraire, est d’avis que le processus s’est amorcé beaucoup plus tôt, soit vers le ive siècle, mais ne s’est pas achevé avant le xviie sièlce, l’u « français » ayant selon lui transité, durant cet intervalle, par une position à la fois plus centrale et moins tendue que le [y] standard, et proche de certains u non arrondis qu’on entend aujourd’hui au Québec. Quoi qu’il ait pu se passer dans la langue spontanée, je pars du principe que le chant et le discours soutenu ont dû favoriser précocement l’usage d’un [y] tendu et que, par conséquent, une telle articulation y était déjà de rigueur au temps des trouvères.

Plus controversée encore est la question de l’origine du changement. On a souvent affirmé, à la suite d’Ascoli (Footnote: Ascoli, Una Lettera glottologica.), qu’il était dû au substrat celtique. Parmi les auteurs récents, et alors que la majorité d’entre eux reste prudemment silencieuse sur ce point, Matte apporte encore son soutien à l’hypothèse celte. Il faut cependant bien admettre qu’elle ne repose sur rien de plus solide qu’une vague coïncidence, qui plus est souvent démentie (Footnote: Pour une bonne réfutation de l’hypothèse celte, voir Tuaillon, Aspects géographiques.), entre la zone « [y] » et un territoire « à forte implantation celte », ce qui est un peu mince pour fonder une vérité historique.

Qu’ils appuient ou non l’hypothèse celte, les historiens de la langue tendent à établir un lien entre la palatalisation de l’u et les autres changements intervenus sur l’axe postérieur du système vocalique, et notamment la fermeture en [u] de l’o fermé du roman :

C’est cette dernière hypothèse qui m’apparaît comme la plus intéressante, car c’est elle qui rend le mieux compte de l’état de langue qui transparaît des premiers grands textes littéraires français aussi bien que des poèmes des premiers trouvères : la présence sur l’axe postérieur d’un o « ouvert » s’opposant à un o « fermé » qui est en fait un [u], lui-même nettement distinct de l’u qui doit donc se prononcer [y].

Le caractère u

Les scribes médiévaux notent de la même manière l’u voyelle ([y]) et l’u consonne ([v]). Alors que l’idée de les distinguer graphiquement par les caractères u et v, tout comme celle de distinguer i et j , est déjà appliquée au xvie siècle par un grammairien comme Ramus, elle n’entre réellement dans l’usage des imprimeurs que vers 1700. Auparavant, ceux-ci disposent bien dans leurs fontes de u et de v, mais, le plus fréquemment, ils utilisent v à l’initiale du mot et u dans les autres positions, ce indépendamment de toute considération phonétique.

U sert de plus, dans certains textes anciens ou anglo-normands, à noter le son [u] issu de l’o « fermé » du roman (Footnote: Dans le dialecte anglo-normand, l’u français s’était revélarisé en [u] et il n’y avait donc pas lieu de prévoir une graphie spécifique pour [u] provenant d’o.). C’est le cas en particulier dans la Chanson de Roland (manuscrit d’Oxford) où l’on trouve deux types de laisses en u : celles en [y] (par exemple la laisse clii, vv. 2035-2055) et celles en o fermé, donc [u] (par exemple la laisse cvi, vv. 1351-1366), les graphies o et u se mêlant dans ces dernières. On ne trouve pas pour autant de laisses associant des u du premier et du second type, ce qui montre que, pour être parfois confondus graphiquement, ils n’en sont pas moins, d’un point de vue métrique et, probablement, phonétique, distincts dans ce poème.

Enfin, u se retrouve aussi semi-voyelle au moment où la diphtongue ui, initialement [yi̯], ayant basculé en [y̯i], cesse d’être une diphtongue et se prononce désormais [ɥi].

Diérèse et synérèse

Comme les autres semi-voyelles, u est à l’origine de délicats problèmes de synérèse et de diérèse, discutés en détail par les métriciens (Footnote: Elwert, Traité de versification, p. 36 et sq. ; Lote, Histoire du vers, III, p. 115 et sq. ; Mazaleyrat, Éléments de métrique, p. 42 et sq. ; Morier, Dictionnaire, article diérèse.). Depuis les origines de la versification française et, grosso modo, jusqu’au xviie siècle, c’est l’étymologie qui est déterminante :

La situation devient ensuite plus floue. Corneille, par exemple, est souvent cité pour un fui (Footnote: Je ne puis te blâmer d’avoir fui l’infamie, Le Cid, v. 906. Voir à ce propos Martinon, Les innovations prosodiques, p. 79-85.) monosyllabique qui avait suscité l’ire de l’Académie. Racine lui emboîtera le pas. En cas d’hésitation, le contexte, c’est-à-dire le compte des syllabes devrait permettre de trancher.

Assonances et rimes en u

Elles constituent une catégorie assez homogène (Footnote: Lote, Histoire du vers, III, p. 183.). Aux u du roman viennent s’ajouter, au fur et à mesure que le vocabulaire s’enrichit de termes savants, tous les u (la quantité ne joue alors bien sûr plus de rôle) des emprunts latins (nature, rude, estude).

On rencontre occasionnellement les particularités suivantes :

Une rime « humaniste »

En plus de ces particularités plutôt archaïques qu’on ne devrait pas rencontrer au delà du xiiie siècle, il apparaît, beaucoup plus tardivement, une hésitation entre u et eu. Cette rime irrégulière associe des mots comme meurs (pour mûr < maturum), seur (pour sûr < securum) qui riment traditionnellement en [y] avec des mots en [ø] comme mœurs ou douceur. Elle n’est pas identique à la rime « picarde » décrite ci-dessus qui est clairement une rime en [y], et les tentatives de l’expliquer par des influences dialectales sont pour le moins fumeuses (Footnote: Fouché, Phonétique historique, p. 521, en donne le résumé.). Plusieurs conditions étaient nécessaire à son apparition :

La rime « humaniste » ne saurait déjà se rencontrer chez Machaut, qui respecte encore scrupuleusement l’hiatus. On ne la trouve pas non plus chez Christine de Pizan qui, quoiqu’elle pratique le plus souvent l’hiatus réduit (Footnote: Christine de Pizan, Cent Ballades. Dans l’une de ces ballades (lxxv), on trouve encore des hiatus non réduits.), évite encore toute rencontre [ø]-[y]. Charles d’Orléans, pour qui les hiatus sont irrévocablement réduits, rime déjà systématiquement bonheur et malheur avec des mots comme cueur, douleur, rigueur, donc en [ø] (Footnote: Charles d’Orléans, Poésies, p. 361, 455, 525, 537.), ce qui est contraire à l’étymologie et à la prononciation traditionnelle, mais correspond au « bon usage » qui a prévalu depuis. C’est la seule licence qu’il s’autorise, contrairement à ses partenaires (ceux dont quelques pièces apparaissent dans les manuscrits qui nous ont transmis son œuvre) qui n’hésitent pas à rimer seur (< securum) et, par exemple, honneur (Footnote: Charles d’Orléans, Poésies, p. 142, 366, 370, 500.).

Villon ne cède pas à la rime « humaniste ». Lorsqu’il est possible d’en juger, les anciens hiatus réduits riment chez lui très régulièrement en u comme dans nus : impourveus : desvestus : pourveus, beues : eues : receues : rues, conceues : receue : tissue : yssue, palus : esleus : valus, fricassure : sure (< supra) : asseure : arsure, luttes : fleutes (< *flabutam) (Footnote: François Villon, Poésies, p. 27, 47, 243, 119, 167.). La rime demeure : meure (Footnote: François Villon, Poésies, p. 61.) (< moram, la mûre, fruit) paraît irrégulière. Elle ne l’est en fait pas : meure (prononcé [mørə]) est l’évolution normale de moram, la prononciation moderne résultant vraisemblablement d’une confusion avec l’adjectif meure (pour nous mûre également, dérivé de maturam, avec hiatus réduit). Il s’agit donc une rime en [ø] banale. Seule rime irrégulière, jeu (< jocum, le jeu) : jeu (< *jacutum, participe passé de gesir) (Footnote: François Villon, Poésies, p. 193.). On pourrait l’interpréter comme une rime « humaniste » (en [ø]), mais j’y vois plutôt une rime « picarde » (en [y]) : en effet, [ʒy] pour le substantif jeu est amplement attesté en parisien vulgaire, et c’est cette prononciation que me semble réclamer le calembour grivois qu’elle recèle. Un dernier vers peut, chez Villon, prêter à hésitation (Footnote: François Villon, Poésies, p. 125.) : Nommer que puis, de ma desfaçon seur, où seur, qui rime avec doulceur, cuer et rigueur, est parfois interprété comme l’adjectif sûr, qui donnerait alors lieu à une rime « humaniste ». Si on lit, par contre, sœur, comme certains éditeurs, et comme le sens me semble l’indiquer, l’irrégularité disparaît.

Les traités de seconde rhétorique fournissent, pour le xve siècle, des listes de rimes toujours hétéroclites, parfois invraisemblables. Elles n’en mettent pas moins en évidence certaines tendances qu’on trouve également dans les poèmes de l’époque :

Ce n’est qu’au xvie siècle que la rime « humaniste » se répand quelque peu. Dans les œuvres lyriques de Marot, comme dans les psaumes huguenots, qu’ils soient dus à la plume de Marot, ou à celle de Théodore de Bèze, les hiatus réduits apparaissent dans trois catégories de rimes :

Ronsard, comme ses prédécesseurs, associe à la rime l’hiatus réduit avec le [y] : puce : pusse, nue : creüe, cognue : nue, vescu : onq eu, fusse : j’usse, vestu : n’ont’u (il n’hésite pas, à l’occasion, à adapter la graphie à la prononciation), assure : jure, etc (Footnote: Pierre de Ronsard, Les Amours, p. 28, 62, 92, 135, 144, 155, 162, 238, 244, 251, 284, 288, 343, 347, 369, 375, 382, 386, 407, 439, 459 ; Œuvres complètes I, p. 56, 113, 174 ; II, p. 16, 111, 177, 193.). On trouve aussi chez lui un certain nombre de rimes où n’interviennent que des hiatus réduits (Footnote: Pierre de Ronsard, Les Amours, p. 70, 89, 101, 103, 148, 194, 266, 267, 277, 286, 308, 314, 324, 326, 331, 344, 353, 359, 367, 381, 425, 460, 488 ; Œuvres complètes I, p. 156, 166, 175 ; II, p. 84, 95, 103, 157, 168.). Mais c’est dans les rimes « humanistes » qu’il se distingue : si l’on excepte celles où intervient un composé de heur, et qu’on ne devrait plus mentionner comme irrégulières tant elles sont fréquentes (Footnote: Pierre de Ronsard, Les Amours, p. 82, 84, 119, 125, 223, 307, 332, 338, 363, 389, 454, 465, 469, 489, 494 ; Œuvres complètes I, p. 10, 17, 64, 69, 81, 91, 100, 104, 123, 134, 169, 221, 229 ; II, p. 94.), elles sont nettement plus variées que chez tous les auteurs précédents. En fait de hiatus réduits, on trouve des participes passés comme repeu, veu, receu, esmeu, depleu, aperceu, beu, creu, dont l’enracinement dans les mots en [y] est pourtant solidement attesté, rimant avec l’adverbe peu, les substantifs feu, neveu ou l’adjectif bleu ; seur(e) (sûr) ou des dérivés comme asseure (qui ailleurs rime en [y]), associées avec demeure, douceur, heure, ou encore blesseure : heure (Footnote: Pierre de Ronsard, Les Amours, p. 9, 21, 63, 88, 166, 169, 200, 254, 260, 280, 293, 403, 410, 437, 446, 463, 464, 469 ; Œuvres complètes I, p. 89, 199 ; II, p. 134, 166.). On a même le présent de l’indicatif s’esmeut (incontestablement [ø]) rimant avec le parfait n’eut dont l’eu graphique n’est qu’analogique (Footnote: Pierre de Ronsard, Œuvres complètes I, p. 248.). On peut en conclure que Ronsard, qui n’en est pas à une licence près, assume pleinement le caractère ad hoc de la rime « humaniste » et que — le premier ou le seul ? —, il s’en fait un jeu !

Chez Peletier, qui gravite pourtant dans les mêmes sphères que Ronsard, les préoccupations phonétiques ont un rôle fortement inhibiteur. Dans les Œuvres poétiques, qui sont imprimées en orthographe usuelle, et si l’on excepte les cas où un composé de heur rime en [ø], on n’a, en fait de rime « humaniste », que trois occurrences de l’adjectif meur(s) (< maturum), associé à clameurs, humeur et meurs (< mores) et une rime seur (< securum) : grosseur à se mettre sous la dent (Footnote: Jacques Peletier, Œuvres poétiques, p. 197, 231, 241, 286.). Dans l’Amour des Amours, imprimé en orthographe phonétique, la graphie indique sans équivoque la prononciation souhaitée par l’auteur. Je n’ai trouvé qu’une seule rime « humaniste » dans l’entier du recueil : seurs (< securum) : dousseurs alors qu’on a par ailleurs assure : blessure et sure : blessure (Footnote: Jacques Peletier, L’Amour des Amours, p. 21, 50, 220.). En dehors de la rime, le seul mot pour lequel Peletier hésite est sûr, graphié tantôt avec u tantôt avec eu, alors que mûr est graphié avec eu et donc prononcé en [ø] (Footnote: Jacques Peletier, L’Amour des Amours, p. 3, 54, 69, 89, 193.).

On sait par Racan que Malherbe « ne vouloit point qu’on rimast sur malheur ny bonheur, parce qu’il disoit que les Parisiens n’en prononçoient que l’u, comme s’il y avoit bonhur, malhur » (Footnote: Racan, Vie de Monsieur de Malherbe, p. 51.). Manifestement, donc, la prononciation « humaniste » de ces mots, promue par les poètes depuis Charles d’Orléans au moins, ne s’était pas encore imposée à tous les Parisiens susceptibles de dire des vers. Le même Malherbe n’était pas, semble-t-il, aussi sévère avec lui-même qu’avec les autres puisqu’on ne trouve pas moins de treize rimes de ce type dans ses œuvres poétiques (Footnote: François Malherbe, Œuvres poétiques, p. 104, 129, 173, 182, 235, 246 (2x), 247 (2x), 259, 261, 266, 267.). À sa décharge, on précisera que seules les quatre premières se trouvent dans des poèmes qu’il a laissé publier de son vivant. Toujours selon Racan, Malherbe condamnait la rime qu’ils ont eû : vertu : battu « parce qu’il disoit que l’on prononçoit à Paris ont eu en trois syllabes, en faisant une de l’e, et l’autre de l’u du mot eu  », témoignage intéressant sur la survivance de l’hiatus à Paris aussi tardivement qu’au début du xviie siècle. De fait, on ne trouve jamais, chez lui, le participe eu à la rime et il semble même qu’il évite assez soigneusement de rimer sur l’hiatus réduit. Il n’y a guère que six rimes de ce type en plus de deux cents pages, ce qui est étonnamment peu pour une catégorie fort commune chez les autres poètes (Footnote: François Malherbe, Œuvres poétiques, p. 134, 150, 177, 186, 205, 230.). En fait de rimes « humanistes », il n’est guère plus productif : mœurs : meurs (< maturum), ceux : deceus, veu (participe passe de voir) : adveu (Footnote: François Malherbe, Œuvres poétiques, p. 190, 263, 264.) sont les trois que j’ai relevées, seule la première ayant été publiée du vivant de l’auteur.

Comme il se doit, les dictionnaires de rimes de Tabourot et La Noue brossent des tableaux assez divergents, mais aussi complémentaires, de la situation.

À parcourir le volume de Tabourot, on ressent une certaine confusion, du fait de la superposition de plusieurs tendances distinctes qui toutes affaiblissent l’opposition [y]-[ø] qu’on peut considérer comme régulière :

Il s’agit donc plus d’un catalogue des licences à l’usage des versificateurs amateurs que d’une description de la pratique des poètes.

Chez La Noue, la rigueur est tout autre. De manière générale, l’opposition [ø]-[y] est respectée. Si les hiatus réduits sont en principe considérés comme étant des [y], on perçoit une réticence à les rimer librement aux finales en -u-. En effet, celles-ci sont le plus souvent considérées comme brèves alors que, assez logiquement, les hiatus réduits sont perçus comme longs. Quant au son [ø], il existe aussi parfois en deux variantes longue et brève. On tend donc vers un système à quatre valeurs (quoique toutes les quatre ne soient pas représentées dans chaque contexte consonantique) : [y], [yː], [ø] et [øː] entre lesquelles certains aménagements sont tolérables, par licence ou nécessité. En voici quelques exemples :

Tout en affirmant de manière assez stricte l’opposition [ø]-[y] et l’identité des hiatus réduits à la seconde de ces valeurs, La Noue met donc parfaitement le doigt sur les caractéristiques de la rime « humaniste », notamment les composés de heur qui ne riment plus qu’en [ø] depuis belle lurette ainsi que ceux de mûr et sûr. Il est parfaitement conscient aussi, puisqu’il les condamne, des quelques licences auxquelles peuvent se laisser aller les poètes.

Le xviie siècle voit l’extinction de la rime « humaniste ». En tous les cas, Straka n’en a plus trouvé après les années 1630. On peut donc dire que, depuis là, tous les mots en -u- et en -eu- riment conformément à leur prononciation moderne : les composés de mûr et sûr ont retrouvé leur prononciation étymologique que, vraisemblablement, ils n’avaient jamais perdue à Paris, tandis que la prononciation étymologique aussi bien que populaire de ceux de heur cède définitivement la place à celle, plus savante, des poètes.

L’ère des grammairiens

Ils connaissent bien sûr l’u voyelle et le v consonne, mais ils s’expriment peu sur la semi-consonne [ɥ]. Si l’on excepte le témoignage de Palsgrave, qui reconnaît encore la prononciation archaïque de la diphtongue ui, soit [yi̯], les autres grammairiens, ceux qui ne disent mot, tomberaient probablement d’accord avec l’avis tardif de Billecoq (1711), pour qui « il faut appuyer sur l’i et passer legerement sur l’u » (Footnote: Thurot I, p. 415.).

Selon Dubois, l’un des premiers grammairiens à décrire précisément son articulation, l’u se prononce la bouche étroitement fermée et les lèvres un peu allongées (Footnote: « ore in angustum clauso & labiis paululum exporrectis ». Dubois, Isagoge, p. 2.). La description ne laisse aucun doute sur le caractère labialisé de cette voyelle. L’u prescrit par les grammairiens, et qui correspond vraisemblablement à celui des chanteurs, est déjà au xvie siècle, une voyelle tendue qui équivaut à l’u du français standard [y]. Celui, central et moins labialisé, du français québécois qui, selon Matte, est resté en usage sur le vieux continent jusqu’au xviie siècle, était donc déjà sorti du bon usage au début de la Renaissance.

Le même Dubois établit une distiction entre l’eu de meur (mûr), seur (sûr), provenant d’un hiatus et celui de meur (je meurs), seur (sœur). Le premier de ces deux sons est qualifié de « plein » et assimilé à l’eu latin, le second est qualifié de « faible » et assimilé à l’eu grec. Alors que, dans le premier, Dubois discerne encore clairement la succession d’un [ə] et d’un [y], il ne peut en dire autant du second, dont l’u incline le plus vers le son de l’u voyelle, d’une manière qui ne peut s’exprimer pleinement par écrit, mais seulement en prononçant (Footnote: Dubois, Isagoge, p. 9.). On admettra que c’est bien le son [ø] qu’il essaie de décrire ainsi.

Pour Meigret, il existe, à côté de l’u voyelle et de l’u consonne ([v]), une « diphtongue » eu, qui se trouve en eur, peu, veu, eureus (Footnote: Meigret, Grammère, f° 9 v°.). Le fait que les quatre premiers de ces cinq eu puissent provenir d’un hiatus donne à penser que, pour lui, l’hiatus n’était peut-être pas complètement réduit. Cette impression est toutefois démentie par le fait qu’il écrit ailleurs reçu, vu, il ut fallu qu’elles ussent u deu’ noms (Footnote: Meigret, Grammère, f° 18 v°, 26 v° ; Reponse, f° 6 v°.), assimilant de fait l’hiatus réduit à un u simple, bien distinct de l’eu de deux. Il parle ailleurs d’une « triphtongue » à propos de veuil et, à côté de la « diphtongue » de puy, puy, nuyt, il mentionne celle de muet, muette sans s’aviser que, dans ce derniers cas, il y a diérèse (Footnote: Meigret, Grammère, f° 9 v°, 11 v°.). Le tout n’est donc pas absolument cohérent.

Comme souvent, ce sont les critiques de Peletier qui amènent Meigret à préciser sa doctrine. Alors que celui-ci lui reproche d’avoir écrit, dans sa préface du Menteur, « cuɇ » et « hurtɇ » pour queue et heurte (Footnote: Peletier, Dialogue, p. 22. Hurter, issu du francique *hurt, bêlier, est la forme médiévale de ce mot. Le passage de u à eu s’explique, selon Fouché, Phonétique historique, p. 350, par l’effet ouvrant de l’r implosif.), Meigret pousse plus avant sa réflexion et crée une nouvelle valeur phonétique :

Ę pour satisfę́r’ a çe qe tu demandes, qi sera çeluy qi me consęntira q’on doęue prononçer hurte, ę cúe, pour heurte, ę ceue ? çe sera çeluy qi voudra vzer d’un langaje graçieus ę d’une prolaçíon ęzée : lęssant ao demourant çęt’ aotre prononçíaçíon reuęçhe difficil’ ę lourde par eu ao’ Picars. […] Or come je considerasse la caoze pourqoę il te sęmbloęt etranje, j’ey trouué çe, ou je n’auoę jamę́s pęnsé, qi ęt de deu’ manieres d’u, dont l’un ęt clos, com’ęn tu vu courir sus, ę l’aotre plus ouuęrt com’il auient souuęnt ęn la diphtonge eu com’ęn veu, aoqel l’u sone plus ouuęrt q’ęn vu, tenu, tu. Par çe moyen si tu ottes çet e de ceue ę de heurte, come fęt la bone prolaçion ęn lęssant l’u ouuęrt tu trouueras sa nayue prolaçíon Françoęze. (Footnote: Meigret, Reponse, f° 6.)

L’on assiste donc, quasiment en direct, à la naissance d’un « u ouvert » qui n’est autre que la voyelle [ø] de veu (probablement veux, ou vœu) s’opposant au [y] de vu. Il est maintenant clair que, dans l’esprit de Meigret, eu n’est pas, au sens où nous l’entendons, une diphtongue. Il est clair aussi que, chez les grammairiens de cette époque, le terme « diphtongue » ne désigne pas forcément comme aujourd’hui deux voyelles phonétiquement distinctes, mais est aussi susceptible de désigner un digramme, c’est-à-dire une voyelle phonétique dont rendent compte deux voyelles graphiques.

Comme dans sa poésie, Peletier distingue de manière très nette [y] de [ø] et, sauf exception, il assimile l’hiatus réduit à cette première catégorie. Il est d’ailleurs conscient que la prononciation a pu évoluer et livre sa théorie à ce propos :

[…] par cɇ quɇ cɇ pais ici à etè autrɇfoęs habitè par g’ans qui auoę́t la Languɇ, tout einsi quɇ la manierɇ dɇ viurɇ, plus robustɇ quɇ nous n’auons aujourdhui. Męs dɇpuis quɇ les Françoęs ont etè an pęs, iz ont commance a parler plus doussɇmant, e, si j’osoę́ dire, plus molɇmant. Nɇ les auons nous pas vùz si sugęz a leurs Dames, qu’iz ussɇt cuide ę́trɇ peche mortęl dɇ prononcer autrɇmant qu’ęlɇs, s’estimans eureus dɇ les pouuoę̀r imiter an gracɇ e an langagɇ ? Męs commant ussɇt iz pu fęrɇ autrɇmant qu’iz nɇ leur ussent donnè lɇ sęruice dɇ la languɇ, vù qu’iz leur vouoę́t e dedioę́t lɇ cors e l’amɇ ? […] De mę́me lieu ę́t vɇnù, je̷ vous assúre̷, e meins autrɇs moz qui sɇ prononcɇt a pɇtit bęc. (Footnote: Peletier, Dialogue, p. 84-5.)

C’est donc l’adoucissement des mœurs et l’assujettissement des hommes aux femmes qui est responsable d’un changement phonétique sur lequel Peletier revient quelques pages plus loin :

E incidammant faut ici dirɇ quɇ pour la mę́mɇ causɇ, les supins seu, peu, teu, deu, conneu ont etè mis an sù, pù, tù, dù, connù. Itam asseure̷, aleure̷, monteure̷, jeuner : an assure̷, alure̷, monture̷, juner, e beaucoup d’autrɇs. (Footnote: Peletier, Dialogue, p. 97-8.)

Ces considérations n’empêchent pas le même Peletier de prononcer ponctuellement seur(e), que ce soit dans ses poèmes ou dans son dialogue (Footnote: Peletier, Dialogue, p. 72.).

En 1562, dans ses premiers écrits phonétiques, Ramus est conscient de la spécificité de l’u français :

La dernierę voiel’ e’ prononse’ en Fransoes, comę nous avon’ di’ cę l’Y grec doet etrę prononse en latin. (Footnote: Ramus, Gramere, p. 9.)

Ce n’est donc pas comme l’u du latin classique, mais comme l’upsilon grec, rendu par y dans emprunts du latin à cette langue, qu’il doit être prononcé. Dans le même opuscule, eu est rangé au nombre des diphtongues, avec comme exemple « seurę » et « meurę », mais Ramus s’empresse. d’ajouter que « les diftongęs ecritę’ par au, ou, eu, nę repondęt point au son c’elę’ sinifięt, car l’u n’i e’ point oui ». Tout au contraire, ces « diphtongues » sont de simples voyelles, pour lesquelles on aurait besoin de trois caractères nouveaux (Footnote: Ramus, Gramere, p. 27-28.). L’on en déduit que Ramus prononçait, comme les poètes, [mørə] et [sørə]. À cette exception près, Ramus note par un u simple les hiatus réduits, notamment les participes comme « u, conu, cru, pourvu » (Footnote: Ramus, Gramere, p. 61.). La pratique est trop systématique pour qu’on puisse considérer un « acreus » (Footnote: Ramus, Gramere, p. 125.) isolé comme autre chose qu’une contamination de l’orthographe traditionnelle, sans valeur phonétique.

Dans son traité, plus abouti, de 1572, le même Ramus reprend et dévelope ses idées de dix ans plus tôt : l’u appartient, avec o et ù, aux voyelles « serrées ». Il est qualifié de u « Gaulloys » par « les hommes doctes entre nos voysins », et ce pour la bonne raison que « les seuls Gaulloys entre tant de peuples vsent de ce charactere, pour exprimer la derniere voyelle » (Footnote: Ramus, Grammaire, p. 11-15.). Cette affirmation doit être replacée dans la mythologie grammaticale de Ramus, qui veut que l’alphabet grec soit d’origine gauloise. On aurait donc, à l’origine de l’écriture, un u gaulois, prononcé [y], qui aurait donné naissance à l’upsilon grec, lui-même passé en latin sous forme d’y. Tout cela pourrait prêter à sourire si l’on n’y reconnaissait pas le mythe, beaucoup plus récent, de l’origine celtique de l’u français. Ascoli avait-il lu Ramus ?

En face d’u, Ramus a fait fondre la ligature ö pour rendre compte d’un son « qui semble aussi auoir este quelque diphtongue, que nos ancestres ayent prononcee & escripte, & puis apres, comme nous auons dict de Au, que ceste diphtongue ayt este reduicte en vne simple voyelle ». La voyelle ö, rangée au nombre des voyelles ouvertes par opposition à u, est celle de « peur, meur, seur », mais aussi de örö, malörö (Footnote: Ramus, Grammaire, p. 9-10.). Cette explication, que ne renierait pas un phonéticien d’aujourd’hui, nous montre sans équivoque que ö correspond à [ø]. Les passages de l’ouvrage où l’orthographe traditionnelle est mise en regard de sa transcription phonétique révèlent que, mises à part les exceptions déjà citées (meur, seur, heur et les mots apparentés, systématiquement transcrits par ö (Footnote: Ramus, Grammaire, p. 63, 118, 121, 140, 169.)), les autres hiatus réduits sont régulièrement transcrits par u (Footnote: Ramus, Grammaire, p. 77, 89, 90 173 etc… Il y a quelques exceptions isolées, comme v<eu>, res<eu>, <eu>sse, p. 108, 125, 184, qui ne sont probablement que des inadvertances de l’imprimeur.).

Ramus s’écarte en outre de l’usage commun lorsqu’il explique que la diphtongue s’altère souvent en u, ce qui fait qu’il note diu, liu pour dieu, lieu (Footnote: Ramus, Grammaire, p. 39.). Pour le premier de ces mots, il semble préférer, et de loin, diu (plus de dix occurrences) à diö (Footnote: Ramus, Grammaire, p. 65, 130, 144, 145, 153, 163, 164, 175, 179, 180, 183, 190, 210.). Pour lieu, ainsi que feu, on trouve indifféremment liö et liu, et fu (Footnote: Ramus, Grammaire, p. 63, 68, 186, 191, 193, 204.). Ces transcriptions en u trahissent très vraisemblablement les origines picardes de Ramus. C’est en tout cas l’avis de Théodore de Bèze qui, quelques années plus tard, se demande pourquoi les Picards prononcent diu et iu pour dieu et jeu (Footnote: « in quorum nonnulis Picardi nescio quo modo elidunt e, ut quum pronuntiant diu, & iu, pro Dieu & jeu ». Bèze, De Recta Pronuntiatione, p.46.). Il rend par ailleurs hommage à Ramus pour avoir le premier distingué graphiquement u voyelle de v consonne.

Du reste, Bèze s’inspire manifestement des écrits de Ramus pour sa description de l’u gallicum, qu’il identifie aussi à l’upsilon des Grecs. Cette voyelle est proférée comme par un sifflement exhalé entre les lèvres serrées (Footnote: « effertúrque veluti sibilo constrictis labris efflato ». Bèze, De Recta Pronuntiatione, p. 17.), ce qui, comme chez Dubois, évoque on ne peut plus clairement une prononciation tendue. Quant à l’hiatus, Bèze l’entend encore sous sa forme dissyllabique en Normandie et à Chartres, prononciation qualifiée de très vicieuse. Pour lui, la seule prononciation correcte de l’hiatus réduit est un simple u ([y]), y compris dans le mots comme seur (< securum), meur (<maturum) et leurs dérivés (Footnote: Bèze, De Recta Pronuntiatione, p. 46-7.). Toute péremptoire qu’elle soit, cette affirmation n’empêche nullement Bèze lui-même de rimer occasionnellement ces mots en [ø], notamment dans sa contribution au psautier huguenot, sacrifiant ainsi aux conventions de la poésie.

À partir du xviie siècle, la prononciation de l’hiatus réduit tend vers celle qui a prévalu aujourd’hui, c’est-à-dire, à de rares exceptions près, [y]. Oudin, par exemple, prononce par un u voyelle les mots seur, seure, fleute, asseurer, veuë, mais aussi la première syllabe de heureux (Footnote: Oudin, Grammaire Françoise, p.34.), ce qui concorde avec la remarque de Malherbe à propos de la prononciation des Parisiens. Chifflet est du même avis pour tous ces mots, excepté heureux pour lequel il admet les deux prononciations heureux ([ørø(s)]) et hureux ([yrø(s)]) (Footnote: Chifflet, Essay d’une parfaite grammaire, p. 196.). Le témoignage de Hindret est conforme aux deux précédents, bien qu’il ne parle pas de la prononciation de heureux (Footnote: Hindret, L’Art de bien prononcer, p. 50-52.), et Dangeau prononce [ø] les deux voyelles du mot heureux, ainsi que la seconde de bonheur (Footnote: Dangeau, Opuscules, p. 3 et 73.). Le débat à propos de l’u et de l’hiatus réduit s’éteint donc avant le xviiie siècle. Le témoignage de Buffier montre cependant que certaines prononciations archaïques pouvaient persister au xviiie siècle dans le discours familier :

On écrit toujours heureux, quoiqu’on prononce hureux, mais quelques-uns croient qu’en déclamant & en chantant on prononce assez communément heureux. (Footnote: Buffier, Grammaire, p. 365. La remarque figure encore dans l’édition de 1729.)

L’ère des chanteurs

À l’instar de Ramus, Baïf distingue graphiquement u voyelle de v consonne. U peut chez lui être long — il sera alors souvent coiffé d’un circonflexe — ou bref. Il n’a pas de caractère spécifique pour la semi-voyelle [ɥ], mais des graphies comme pluìî, uìîle (pour pluie, huile), où le circonflexe marque la longueur, indiquent qu’il connaissait probablement ce son glissant (Footnote: Jean-Antoine de Baïf, Etrénes, f° 9.).

Les hiatus réduits, notamment les participes (en orthographe moderne) pu, vu, dû, les subjonctifs sût,eusse, eusses, eussent, déplût et le parfait eus sont systématiquement notés par u, donc [y], souvent avec une marque de longueur (Footnote: Jean-Antoine de Baïf, Etrénes, p. v, vi, xiv (ma numérotation des pages de l’introduction), f° 4, 8v°, 12, 16v°.). Le mot heur est noté par la voyelle ö, donc [ø], de même que bonheur et malheur (Footnote: Jean-Antoine de Baïf, Etrénes, p. vi, xii, xiv, xvi, xvii, xviii, xix, xxi, xxiv, xxx, xxxi (ma numérotation des pages de l’introduction) ; f° 2, 4, 12v°, 16, 19, 19v°.). En revanche Baïf écrit u dans les positions métriques brèves et ö dans les positions métriques longues. C’est ainsi qu’alternent (mal)urös et (mal)örös (Footnote: Jean-Antoine de Baïf, Etrénes, p. v, ix, xii, xviii, xx, xxvii, xxviii (ma numérotation des pages de l’introduction) ; f° 1, 3, 3v°, 4, 6, 9v°, 11v°, 12, 13v°, 14, 15, 17, 18v°, 19.) ; on a aussi malurté (Footnote: Jean-Antoine de Baïf, Etrénes, f° 2, 6, 12v°, 16v°.). Plus surprenant, l’usage de valurös, de ku£irè, reku£ir, ku£ir, junésse (pour cueillirai, recueillir, cueillir, jeunesse) en face de rekö£it, jönése (Footnote: Jean-Antoine de Baïf, Etrénes, f° 3, 4, 11, 18, Ps. 88, 129.).

Le mots sûre et mûre sont, dans leurs quelques occurences, notés avec ö. Baïf utilise par contre indifféremment u et ö en syllabe inaccentuée (assurait, assuras, assuré(s), assureras, assurer, sûreté) (Footnote: Jean-Antoine de Baïf, Etrénes, p. xiv, xvi, xxvi (ma numérotation des pages de l’introduction) ; f° 1v°, 10v°, 15v°, 16, 17v°, Ps. 61, Chans. I, 72.).

Mersenne mentionne l’u au nombre de ses dix voyelles, précisant qu’il « se prononce comme l’ypsilon des Grecs » tout en prônant qu’u voyelle soit graphiquement distinct de v consonne, conseil que son imprimeur se garde bien de suivre. La semi-voyelle [ɥ] apparaît dans la diphtongue üi, « facile à prononcer dans le mot aujourd’huy  » (Footnote: Mersenne, Embellissement des Chants, p. 378-9, in Harmonie universelle, vol. 2 du fac-similé.).

Comme il se doit, la description de Bacilly est d’une grande précision :

Ie ne parle point icy de l’u consone, sur lequel il n’y a point d’autres Remarques à faire que sur le general des Consones, qui est de les appuyer quant il en est besoin, mais seulement de l’u voyelle qui est celle de toutes qui est absolument contraire à cet Aduis general & si vniuersel que donnent inconsidérement la pluspart des Musiciens, en disant que dans le Chant on ne peut assez ouurir la bouche, puis que pour bien prononcer l’u, il est necessaire de la tenir presque fermée, pour rendre cette Voyelle plus delicate & plus fine, autrement elle tiendroit de la Dyphtongue eu. Il ne faut donc pas dire, comme plusieurs font eune pour vne, commeune pour commune, meurmurer pour murmurer, si ce n’est aussi grossierement, du moins en partie, ce qui est toûjours défectueux dans la Prononciation de l’u qui donne beaucoup de delicatesse au Chant. (Footnote: Bacilly, Remarques, p. 277-8.)

U est donc sans conteste la plus fermée des voyelles de Bacilly, plus tendue peut-être chez lui que dans le plus châtié des discours parlés. Aucune concession n’est faite ici à une tendance à l’homogénéisation des timbres qui, apparemment, pouvait déjà se faire sentir, puisque même un rapprochement partiel du timbre de l’u avec celui de l’eu ([ø]) est résolument proscrit.

La semi-voyelle [ɥ] retient aussi l’attention de Bacilly :

Il y a encore vn autre u, qui joint auec vn i, ou vn y, ne sont pourtant qu’vne mesme syllabe, comme luy &nuire, semblable à celle de l’i & l’e, dans ces mots bien & lieu, pour lequel u il n’y a rien de particulier à dire, que ce que i’ay dit en parlant de l’i & l’e, & comme ie diray en parlant de l’oi ; c’est à dire qu’il faut bien prendre garde de separer l’u d’auec i, lors que par exemple il y a une Notte qui descend sur l’autre, comme on peut voir dans la page 20. du 2. Liure i 8. sur le mot de reduit. Il faut, dis-je, bien prendre garde de dire nonchalamment du sur la premiere Notte, & it sur la seconde, & ainsi faire comme si la syllabe duit n’estoit pas vnique, mais coupée en deux. (Footnote: Bacilly, Remarques, p. 278. Prendre garde de signifie, chez Bacilly, éviter de.)

Cette remarque est à rapprocher de celle faite à propos de l’yod de bien, entretien etc. Elle met en garde contre une tendance, probablement réelle au xviie siècle consistant à consacrer une note pleine à la semi-voyelle et à lui donner, indûment, le statut de syllabe.

Brossard, qui se pique d’apprendre aux Français la prononciation de l’italien, ne détaille pas le son de l’u français, mais enseigne à ses contemporains à prononcer l’u italien comme s’il y avait ou en français (Footnote: Brossard, Traité, p. 348.). On se rend ainsi compte, avec amusement et un rien d’effroi, que bien des chanteurs français devaient, à cette époque, prononcer « à la française » l’italien des arie

Pour prononcer u, Bérard demande d’« avancer les lèvres de manière qu’elles forment une petite ouverture ». Il qualifie cette voyelle de gutturale (comme toutes ses voyelles) et demi-labiale, par opposition à p, b et f qui sont labiales à part entière (Footnote: Bérard, Art du Chant, p. 62.).

En pratique

Il n’y a pas lieu de penser qu’à un quelconque moment de l’histoire du français chanté, un u voyelle isolé se soit prononcé autrement que comme l’u du français standard ([y]). Si l’on admet qu’elles ont pu avoir cours dans la langue spontanée, des variantes moins tendues, peu labialisées et plus centrales de cette voyelle ont dû très précocement laisser la place à un u tendu, labialisé et antérieur dans les diverses formes de discours public, et donc dans le chant. Les témoignages des premiers grammairiens, en tous les cas, vont dans ce sens.

Des scribes anglo-normands ont bien sûr utilisé la graphie u pour rendre le son [u] mais, passé le xiie siècle, de tels u ne devraient plus se rencontrer qu’exceptionnellement dans des textes destinés à être chantés.

Enfin, il a probablement existé, à la Renaissance et notamment chez Ronsard, une tendance poétique à confondre certains [y] avec certains [ø], procédé que j’ai nommé rime « humaniste ». Lorsque des conflits de cette sorte se présentent à la rime, il revient au chanteur d’ouvrir légèrement l’u concerné, et de fermer non moins légèrement l’eu correspondant afin de faire passer de telles licences.


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Footnotes: